Le monde des jeux de société est petit, et ses personnalités se comptent sur les doigts de la main. Bruno Faidutti en fait partie, de nombreux jeux de son invention ont été primés ou édités; il a également participé à Casus Belli ou Jeux & Stratégie. C'est très gentiment qu'il a accepté de répondre à nos questions.

Je suis historien, intéressé en particulier par l'histoire des sciences et de la pensée. Ma thèse porte sur le débat sur l'existence de la licorne entre la fin du Moyen-Âge et le XIXème siècle. J'ai aussi un peu touché à l'économie et à la sociologie - je suis agrégé de sciences sociales et professeur dans un lycée. À part cela, bien sûr, je suis joueur.

J'ai environ 800 jeux de société, et je les ai pour la plupart essayés au moins une fois. Il y a donc très peu de jeux auxquels je joue régulièrement, souvent. La plupart du temps, je fais une partie, trois ou quatre si le jeu me plait, mais il est rare que cela aille au delà. Si j'essaie de me rappeler les jeux auxquels j'ai été suffisamment accroché pour y jouer beaucoup, même si je les ai délaissés aujourd'hui, la liste est assez brève: Cosmic Encounter, Il était une Fois, Kuhhandel, Les Colons de Katäne, Elfenroads.

Le seul jeu de société que je pratique très régulièrement depuis plus de dix ans est le poker, aussi bien stud que draw. Je ne pratique pas les jeux vidéos, ni les jeux de rôles sur table, mais je participe à l'occasion à des jeux de rôles grandeur nature.

Les raisons ne sont peut-être pas seulement négatives, elles sont aussi positives: les jeunes français ont d'autres occasions de sorties et sont moins enfermés dans leur famille que les allemands. En Allemagne, le jeu de société est très familial, et cela explique que la plupart des jeux allemands soient conçus pour 3 ou 4 joueurs.

Il y a aussi des raisons qui tiennent à ce que j'appelle "les hasards de l'histoire", qui font qu'en Allemagne des journalistes passionnés ont réussi à imposer, avec le jeu de l'année, quelque chose qui ressemble à un Goncourt du jeu, et qui contribue à faire accepter le jeu comme une création culturelle, au même titre qu'un livre, ce qui n'est pas le cas en France [Note de JesWeb: il s'agit du Spieles des Jahres, le jeu de l'année]. Je suis toujours choqué qu'en France le ministère qui s'occupe -fort peu au demeurant- du jeu soit celui de la jeunesse et des sports, et non celui de la culture, alors que le jeu de société est presque une création littéraire, n'est pas réservé à la jeunesse et n'a rien de commun avec le sport.

Je pense que oui. J'ai participé à plusieurs projets et ébauches, qui ont tous fini par échouer. Le monde du jeu est un univers de passionnés, de fortes personnalités qui ont parfois du mal à s'entendre, qui n'ont pas les mêmes idées, ni les mêmes buts, et qui sont tous - moi le premier - un peu mégalomanes. Difficile de créer une oeuvre collective dans ces conditions.

En outre, nous avons tendance -moi le premier là aussi, mais votre site Web me semble aussi très représentatif de cette dérive- à prendre le jeu un peu trop au sérieux, à insister sur l'aspect mathématique, la tactique, la stratégie, au détriment de l'aspect littéraire, de l'humour, de la nécessaire perversité du jeu.

Je suis bien loin d'en vivre.

Cela met un peu de beurre dans les épinards, mais je ne suis pas en mesure d'en vivre. Bien sûr, je suis content de gagner de l'argent avec, et j'essaie de vendre mes jeux du mieux possible, mais je crée des jeux d'abord pour le plaisir, parce que j'aime jouer, parce que j'aime créer, parce que j'aime écrire.

D'ailleurs, le monde du jeu est assez largement un milieu de passionnés, et rares sont ceux qui font cela d'abord pour l'argent. Peut-être parce que je suis économiste de formation, je suis incapable de tenir des comptes et je ne peux pas vous dire combien exactement m'a rapporté Tempête sur l'échiquier, celui de mes jeux qui a le mieux marché. Aujourd'hui, il doit me rapporter entre 10 et 15000 F par an, mais il marchait un peu mieux il y a quelques années.

Un seul conseil: tester, retester son jeu, et ne pas se décourager. Envoyer des descriptions aux éditeurs, avec un petit dossier, une photo, et rappeler quelques semaines plus tard. Bien sûr, c'est plus facile pour quelqu'un qui a déjà publié quelques jeux, mais les éditeurs de jeux sont des gens ouverts et sont moins noyés sous les propositions que ceux de littérature. Ils regardent donc un peu tout, si c'est clair, bien présenté, écrit sans trop de fautes.

Pour les éditeurs à éviter, je ne me risquerai pas à donner des noms. Il y a bien des éditeurs avec lesquels je suis en froid, essentiellement du fait des vieilles rancoeurs consécutives au sabordage de Ludodélire, mais cela ne signifie pas qu'ils soient malhonnêtes et qu'il faille les éviter. Il y en a d'autres au sujet desquels je me suis laissé dire que... mais on entre là dans le domaine des ragots, qui ne valent pas mieux. Disons simplement que je suis assez content de mes relations avec Multisim, et très satisfait de mes relations avec Jeux Descartes....

J'aimerai déjà avoir une idée plus précise sur la date de sortie de Citadelles, chez Multisim. Pour Castel, je pense que c'est une question de semaines, mais je n'en sais pas plus. [Note de JesWeb: depuis l'interview, Bruno Faidutti a précisé que ces deux jeux sortiraient dans les tout prochains jours - en avril ou mai 2000].

J'avais trois jeux à leur envoyer, mais l'un d'entre eux semble parti pour avoir trouvé un éditeur avant l'ouverture du concours, ce qui le disqualifie. Sur les deux autres, je ne dirai rien non plus, car cela romprait l'anonymat indispensable au concours...

Interview réalisée en mars 2000. Photo fournie par Philippe des Pallières, tous droits réservés, issue du site Les Loups Garous de Thiercelieux. JesWeb - la page des jeux de société - http://jesweb.free.fr